Lorsque l’on entend le mot « antiterrorisme », ce qui vient à l’esprit de l’Américain moyen, ce sont probablement les soldats qui combattent en Afghanistan ou les analystes qui passent au peigne fin les transcriptions d’entretiens. Cette ligne de pensée n’est en rien inattendue, puisque ces mesures sont au premier plan de la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. Et si la défaite des organisations terroristes internationales par notre armée et la mise en échec des complots terroristes par notre communauté du renseignement sont sans aucun doute efficaces, un autre moyen de combattre le terrorisme devrait être privilégié au sein de la communauté de la sécurité nationale : la psychologie. Les décideurs politiques peuvent intégrer la psychologie, et plus précisément des éléments de la recherche sur le désengagement et la déradicalisation, dans la politique de lutte contre le terrorisme afin de s’attaquer au problème à sa racine.
Il est impératif d’expliquer d’abord la différence entre les concepts de désengagement et de déradicalisation, car les deux termes sont souvent confondus. Le désengagement fait référence à la cessation du comportement d’activité terroriste, que ce soit en raison de l’incarcération ou d’une myriade d’autres raisons. La déradicalisation va un peu plus loin ; c’est le processus cognitif interne qui consiste à ne plus s’engager dans une idéologie. Ce n’est pas parce qu’un extrémiste est incarcéré, et donc désengagé de la violence terroriste, qu’il est déradicalisé.
La récidive des extrémistes est une préoccupation dans le monde entier et un problème de contre-terrorisme qui doit être résolu. Contrairement à la criminalité « quotidienne », une idéologie profondément ancrée est inhérente à la violence terroriste. est particulièrement difficile à briser, car l’idéologie est si étroitement liée au sentiment de soi. Grâce à des programmes de déradicalisation réussis pour les terroristes incarcérés, la récidive deviendrait moins préoccupante. Des programmes de déradicalisation ont déjà été mis en œuvre dans des pays comme l’Indonésie et le Yémen, en utilisant les taux de récidive comme principale mesure d’efficacité. Les taux de récidive, cependant, ne sont qu’une mesure du désengagement plutôt que de la déradicalisation ; ces taux ne tiennent pas compte des individus qui continuent à soutenir le terrorisme mais qui peuvent le faire de manière légale ou qui ont autrement échappé à la capture. Il est donc impératif de mesurer empiriquement si et comment les programmes de déradicalisation sont efficaces pour changer les esprits plutôt que les comportements.
C’est ce qu’a fait une étude menée par des chercheurs d’universités renommées du monde entier. Insatisfaits des recherches actuelles portant uniquement sur les taux de récidive, ils ont entrepris de mesurer l’évolution des croyances et des attitudes auprès d’anciens membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) au Sri Lanka. Les détenus des LTTE ont bénéficié de trois formes de réhabilitation : éducative, professionnelle et psychosociale. Pour résumer brièvement leurs conclusions, ces formes de réadaptation ont permis aux participants de trouver une autre voie pour trouver une signification personnelle. Après avoir participé à la réadaptation, les détenus ont fait état d’un sentiment d’insignifiance plus faible, qui a ensuite été lié à un moindre soutien à l’extrémisme et à une moindre nostalgie de leur appartenance au groupe terroriste. Cela prouve que les anciens terroristes ont pu trouver une nouvelle source de signification personnelle déconnectée de l’idéologie, se déradicalisant ainsi avec succès et efficacité.
Bien que le programme mis en œuvre au Sri Lanka soit l’une, sinon la seule, étude empirique évaluant l’efficacité réelle des programmes de déradicalisation, d’autres enseignements peuvent être appliqués aux efforts de lutte contre le terrorisme de manière plus générale. L’importance des obligations familiales est abordée dans le rapport du LTTE. Outre la signification personnelle, il existe une pléthore de recherches sur les « facteurs d’incitation », c’est-à-dire les raisons qui poussent une personne à quitter un groupe terroriste. Un facteur d’incitation est la compétition de loyauté entre le groupe terroriste et les obligations familiales. Lorsque le dévouement à la famille devient plus important que le dévouement au groupe terroriste, la probabilité qu’une personne se désengage est probable. Dans la stratégie de lutte contre le terrorisme, la famille peut être mise en avant comme une alternative au récit qui est posé dans le recrutement des terroristes : stabilité financière, sens de la communauté et soutien.
Dans une société qui accepte de plus en plus la validité des sciences sociales, suivre cette tendance serait une sage décision pour la communauté du contre-terrorisme. Il serait irresponsable de laisser entendre que les initiatives militaires et de renseignement ne sont pas efficaces ; toutefois, si les États-Unis veulent continuer à mener la « guerre contre le terrorisme », il est très utile non seulement de comprendre les facteurs d’incitation et le processus de déradicalisation, mais aussi d’intégrer des éléments de psychologie dans la politique.